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La Tallardiade La vraie


 
 

L'aventure de Tallard

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Le Chartreux est venu à Tallard sur la demande expresse de son cousin éloigné, pour y remplir les fonctions de vicaire instituteur ou, comme on disait alors, de régent. M. Roman l'affirme nettement. Pourquoi le curé de Tallard qui avait précédemment fait preuve de beaucoup d'initiative n'aurail-il pas eu aussi celle-là. Il y avait eu déjà, dans les premières années de la Révolution à Tallard un régent d'écoles qui était prêtre et même tint, un certain temps, les registres de l'état-civil à la mairie. Le Chartreux pouvait très bien tenir ce rôle de régent.
Mais il y avait la bonne. Peut-être M. le Curé avait-il pensé que l'âge du personnage, sa parenté avec lui, son savoir-faire, empêcheraient Nanneîle d'agir avec lui comme elle l'avait fait autrefois avec les jeunes vicaires. Il se trompait et combien, habitué qu'il était à un joug qu'il nr scnlail plus assez.
M. Roman nous dit que la bonne ne pouvait supporter que Quelqu'un eut de l'influence sur son vieux maître. Nanette et le Chartreux en furent vite à couteaux tirés. Bref, la vie à la cure menaçait d'être un enfer. Si le vieux curé, lui, était résigné, le nouveau venu, lui, comprit qu'il lui faudrait quitter Tallard.

Accompagné de son cousin, il vint à plusieurs reprises aux bureaux de la Préfecture de Gap faire des démarches à la fois pour toucher sa pension de prêtre émigré rentré et pour obtenir, non à Tallard mais dans la région, un poste de maître d'école.
Quitter Tallard était inévitable mais quitter les Alpes lui paraissait impossible. Et de fait il y restera jusqu'à sa mort.
Comme nous le comprenons !
Quand un homme du Nord ou de l'Ouest a connu le climat des Hautes-Alpes, il ne peut plus aller planter sa tente ailleurs.
Gap fait aujourd'hui en faveur du château de Tallard une réclame gratuite et fort efficace (de 8 à 10.000 lettres et papiers par jour"). Mais pendant longtemps la flamme postale était : Gap, Trois cents jours de soleil pur an. Et c'était pratiquement vrai. Tandis que Quimper aurait nu reconnaître qu'on y subit la pluie trois cents jours par an.
C'est lors d'une de ces démarches que Jean Faure fait la connaissance du Chartreux qu'il qualifie sans aménité de « singulier personnage ». Jean Faure était alors secrétaire général (le la Préfecture.
Il fil savoir au curé de Tallard et à son cousin que le temps était passé pour la liquidation de ces sortes de pension et qu'il n'y avait rien à espérer. Pourquoi n'avait-il pas fait plus tôt les démarches voulues ? Dom Reymond répondit qu'il ne l'avait pas voulu faire tant que l'usurpateur était au pouvoir. Pour un royaliste, l'usurpateur c'était Napoléon.
Comment les deux ecclésiastiques réussirent-ils, malgré ce premier refus, à faire aboutir leurs démarches ? Toujours est-il que la liquidation de pension fut accordée. Grand fut l'étonnement du secrétaire général de comprendre qu'on avait passé par dessus sa tête. Il en garda une dent au Chartreux.
La seconde demande, celle d'un poste de maître d'école, connut des lenteurs administratives bien qu'on manquât de maîtres : la Révolution, comme toute période de troubles et de guerres, ayant vu décroître le recrutement.
Des lenteurs qui allaient entraîner la Tallardiade.
La Tallardiade ? La vraie, pas celle de Faure du Serre qui, mêlant le vrai et le faux, amène le lecteur de son poème à croire que tout est vrai de ce qu'il invente ou raconte.
Pour pouvoir tenir à Tallard en attendant ce poste d'instituteur qu'il avait sollicité, Dom Reymond allait monter une de ces mystifications digne de l'histoire où de fait elle est entrée.
Les mauvaises langues disent que les gens du Midi prennent tout à la blague même les choses sérieuses tandis que les gens du Nord font très sérieusement même les blagues.
Prisonnier d'un premier mensonge, le Chartreux va se trouver entraîné dans une série de mensonges merveilleusement agencés, mais mensonges tout de même, aux conséquences diverses, les unes heureuses et les autres regrettables.
Dans les premiers jours d'août 1816, parvenait à Tallard et venant de Quimper une lettre écrite par le comte de Kerlorec, neveu du Chartreux. C'est la première d'une série de trente lettres qui va s'échelonner sur plus d'une année.
Quand on relit ces trente lettres à la suite, on ne peut s'empêcher d'admirer l'art de leur auteur. Nous disons bien admirer et non pas approuver. Quel romancier eut l'ait notre homme ! On imagine volontiers écrite par lui l'histoire d'Arsène Lupin, gentilhomme cambrioleur. Tout se tient dans ces lettres qui fourmillent de détails impossibles à inventer, dirait-on, tant ils paraissent pris sur le vif. Jugez-en plutôt par cet échantillon.
Il s'agit d'un passage de la première lettre conservée. Kerlorec fait allusion à deux lettres écrites par le Chartreux, l'une de Paris en juin 181(> annonçant son retour en Bretagne, et l'autre de Versailles, un mois plus tard, annonçant un revirement et le départ pour Tallard. Kerlorec dit l'effet de ces deux lettres sur la vieille tante à héritage.
« ...J'ai communiqué vos lettres à Mademoiselle de Reymond ainsi que vous m'en aviez chargé. Quoiqu'elle n'ait pas paru insensible au plaisir de vous voir, comme vous l'annonciez d'abord, nous avons cru, ma mère et moi, apercevoir de la contrainte parce que probablement elle pensait qu'elle allait se trouver contrariée dans sa manière de vivre, sentant qu'elle ne pouvait se dispenser de vous offrir un asile chez elle. Votre dernière au contraire lui a l'ait éprouver une joie beaucoup plus sensible et, je crois, beaucoup plus réelle. Ma mère lui a fait sentir combien elle se devait à elle-même de venir à votre secours dans l'état où votre Ordre devait se trouver dans les commencements. Elle a bonnement répondu qu'elle ne voyait pas les choses comme nous, qu'elle était loin de vous croire ainsi que vos Pères dans le besoin, qu'au surplus que sa mort ne pouvait sans doute être éloignée et qu'un peu plus toi un peu plus lard vous trouveriez toujours ce qu'elle pouvait avoir. La bonne demoiselle craint toujours de manquer et elle pleure misère au milieu de l'abondance. Nous savons qu'elle a fait son testament. Tout ce qui en a transpiré, c'est qu'elle a l'ait quelques œuvres pies, fait six cent livres de rentes à Mlle de Saint-Alouerne, et trois cents livres à la vieille Marie-Rosé, sa femme de chambre. Mais vous savez que cette fille est presque aussi âgée que sa maîtresse. Il parait que rien n'est détourné et que vous jouirez pleinement de sa succession qui sera vraiment considérable. Son médecin, M. Bullot, nous disait hier que dans l'état où elle était il lui donnait encore un ou deux ans de vie... ». Et la lettre continuait, ce passage n'en étant pas même la moitié. On ne pouvait que s'y laisser prendre.
M. le curé s'y laissa prendre et sans doute invita son tyran
domestique à montrer plus de ménagement envers ce cousin qui pouvait, un jour, rendre de grands services à la paroisse et à la cité de Tallard.
La lionne ne désarma pas mais le curé, lui, dès ce jour ouvrit largement sa bourse à son cousin qui n'en profita que pour faire le bien autour de lui.
Faure du Serre lui-même doit le reconnaître : « Dès les premiers mois de son arrivée il commença de faire des dons considérables; ce qui veut dire qu'il puisa de bonne heure dans la bourse de son cousin car il est impossible de supposer qu'il avait lui-même apporté de l'argent. Les hommes de sa trempe n'ont jamais eu de pécule... ».
Les escrocs d'aujourd'hui- n'ont pas honte de voler les pauvres. Noire Chartreux, lui, par des mensonges où l'avait acculé l'hostilité de Nanette, faisait passer des coffres des riches l'argent dans la main des pauvres. Est-ce tellement condamnable ?

 

Témoins à décharge

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Au témoignage que rend à contrecœur Faure du Serre avant d'accabler le Chartreux dans son poème, et, par ricochet, tous les Tallardiens et surtout le curé, ajoutons deux autres témoignages qui ont leur valeur.
Le maire de Tallard, qui était alors le notaire Daniel Faure, écrit à l'administration préfectorale pour la remercier d'un secours de 1.1(10 francs accordé à Tallard pendant le désastreux hiver de 1816.
« Ceci fera quelque bien, mais pourtant, ajoute-t-il, ce serait peu de chose au milieu de tant de besoins si la Providence n'y avait pourvu d'une autre manière. Heureusement il est arrivé à Tallard un homme riche et bienfaisant qui distribue chaque jour des sommes importantes pour le soulagement des pauvres ».
Vous avez bien lu : « qui distribue chaque jour des sommes importantes pour le soulagement des pauvres ».
Bien sûr, Daniel Faure ne sait pas encore à ce moment que le Chartreux fait la charité avec l'argent qu'il prend dans la poche des riches, en particulier dans celle du maire, mais il aura ce beau rôle, une l'ois la vérité connue sur le fabuleux héritage, de ne pas garder rancune au Chartreux qui lui fit faire la charité quand il n'y pensait pas.
Il y a dix ans déjà, nous avions eu l'occasion d'écrire : « Pouvait-on reprocher à Dom Reymond de rétablir l'équilibre et, tout en forçant un peu la main aux riches, de leur rappeler qu'ils ont des devoirs envers les .pauvres. Bref, par des moyens peu honnêtes, il opérait une véritable et équitable redistribution des richesses. Les biens de la terre ne sont-ils pas aux pauvres. Combien

devant ces vérités font la sourde oreille môme aujourd'hui, le superflu étant ce qui parait aux riches le plus nécessaire ».
Plus intéressant est le manuscrit de Louis Carie car il a été écrit après le dénouement de l'histoire, après aussi la publication de la Tallardiade.
Louis Carie avait, dans ses jeunes années, connu le Chartreux. A Tallard, où il exerçait les fondions de juge de paix, il occupait ses loisirs à écrire l'histoire de son Tallard tant aimé. On peut le croire bien renseigné et lui faire crédit même s'il y a un peu d'emphase romantique dans son style. Voici :
« Quelques habitants (du Tallard de 1816) jouissaient bien d'une demi aisance, mais le reste de la malheureuse population allait sans souliers et sans vêlements demander en grelottant un morceau de pain noir qu'il allait savourer à l'abri des ruines du vieux château... Le Chartreux répandait l'or, cl l'argent, comme les vents soufflent la poudre sur les champs, il vêtisse celui qui était nu et consolait tous ceux qu'accablaient des souffrances morales... Seuls, les riches qu'il avait berces des plus flatteuses espérances restèrent stupéfaits el s'écrièrent mais un peu lard comme le corbeau de la fable qu'on ne les y prendrait plus... L'aventure surprenante du Chartreux fut réellement une bénédiction du ciel pour les pauvres habitants de Tallard »
 

 

La particule et la mitre

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II est exact que Dom Reymond fit croire à son cousin, le curé de Tallard, que le roi Louis XVIII l'avait nommé chanoine du Chapitre royal de St Denis. 11 était déjà chanoine de Gap, chanoine des Quinze-Vingts, il allait l'être de Digne. Un canonicat de plus, pourquoi pas ?
Une lettre, soi-disant partie de Quimper le 2.3 mars 1817, annonça celle décision du roi :> « ...Ce qu'il sollicite pour son parent, je le lui accorde pour lui-même. En conséquence, je veux qu'à la Saint Louis, époque que j'ai fixée pour de nouvelles nominations, MM. de Reymond soient nommés chanoines honoraires de mon chapitre de St Denis... ».
La lettre dut donc arriver à Tallard pour le l'1' avril. Un poisson d'avril de taille ! M. le curé mordit à l'hameçon, après quelques hésitations tout de même puisque c'est seulement en juin qu'il se décida à signer non plus Reymond mais de Reymond. 11 signera ainsi jusqu'au 20 novembre.
Après tout, le curé ne faisait que reprendre la particule de ses ancêtres puisqu'il descendait des seigneurs de Savines, particule qu'on lui donnai! à lui-même avant la Révolution. Ainsi le receveur des dîmes, Esprit Paul do Laffont, dans un rapport de 1777, nomme, immédiatement après l'évêque, les chanoines
de Cazeneuve el de Reymond. Son frère, le vicaire général de Coutances, signait aussi Reymond de Saint-Maurice.
Mais voici plus grave. Dom Reymond fit aussi croire à son cousin que tous deux ils étaient proposés pour un évêché in partibus infidelium. Qu'on se rassure ! Il ne s'agit là que d'un titre purement honorifique et jamais un Monseigneur de ce genre n'a eu à mettre les pieds dans son diocèse qui souvent n'existe plus que dans les pièces d'archives du Vatican.
Une lettre adressée à Monsieur l'abbé de Reymond de Vars, chanoine honoraire du chapitre royal de St Denis, à Tallard par Gap (Hautes-Alpes), datée de Moulins le 17 août 1817, se terminait ainsi : « Adieu, Monseigneur l'évêque de Bethléem, adieu, Monseigneur le nouvel évêque d'Amyclée, je salue vos grandeurs et vous demande vos saintes bénédictions... Le comte de Kerlorec ».
Avouons que la farce dépasse les bornes. Refuserons-nous pour autant toutes circonstances atténuantes ? Le vieux curé il avait alors 72 ans — avait été vicaire épiscopal, donc séparé de l'épiscopat seulement par un degré, et cela dans une époque de trouble. Son frère François, nous l'avons dit, avait été vicaire général de Coutances. Qui ne se fait illusion sur ses mérites surtout quand l'âge et la maladie ont quelque peu affaibli l'acuité des facultés ?
Le curé archiprêtre de la cathédrale de Gap, M. le chanoine Peix, mis au courant, eut un soupçon. Tout cela ne lui paraissait pas très orthodoxe. Le saint homme de Tallard l'intriguait. 1! écrivit à Quimper.
Marquons tout de même une bonne note à l'actif du Chartreux : il débarrassa le curé de sa carabassen, la servante Nanette que recueillit la famille Mourès.
Qui la remplaça ? Nous ne savons. Mais nous constatons que désormais le curé aura des vicaires et des vicaires qui resteront longtemps. Le premier en date, l'abbé Jean-Joseph Hodoul, restera une douzaine d'années à Tallard qu'il ne quittera que pour être nommé curé. Il mourra, jeune encore, curé de l'importante paroisse d'Aiguilles-en-Queyras. Son successeur à Tallard, un jeune prêtre, l'abbé Bonnafoux, enterrera le vieux curé.


 

Le maître-autel

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Il est exact aussi que Tallard doit au Chartreux l'autel actuel de marbre blanc, oeuvre d'un marbrier italien de Gap, nommé Bataglia.
M. Roman écrit aussi : « L'ancien était très beau mais il était vieux. Le neuf ne le valait pas mais il avait l'attrait de la nouveauté ».
L'ancien autel devait être très beau en effet, à en juger par ce qu'il en reste : le tabernacle et deux marbres, un noir et un blanc, retrouvés en 1952 dans l'amoncellement de débris de tous genres qui encombrait la chapelle de la famille Saint-Barthélemy, redevenue ce qu'elle fut, la chapelle St Grégoire. Des textes nous apprennent que l'ancien autel était de marbre noir. Il nous parait plus exact de dire que les marbres noirs y dominaient.
Derrière le nouvel autel installé en 1817, les Tallardiens, reconnaissants, firent mettre une plaque de marbre portant les armoiries des Reymond et l'inscription latine: Aux pieux bienfaiteurs, Messieurs de Reymond de Vars. C'était fin septembre 1817.
Tout le monde alors prenait encore Dom Raymond pour l'homme providentiel « qui avait tiré les indigents de la misère en ces temps calamiteux ». Cela reste vrai si l'on a soin d'y ajouter cette précision : c'était avec l'argent des autres.
De même, c'est avec l'argent des autres que sera payé l'autel offert à la paroisse.
Mais disons d'abord. les dernières semaines du Chartreux à Tallard.

 

Comment finit le paradis Tallardiens

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Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Après le coup de l'héritage américain, celui de l'héritage breton. Après le coup, en 1813, de la voiture pleine d'argent, celui des voitures pleines de meubles rares, d'étoffes précieuses, de vaisselle d'or et d'argent.
Mais ces chariots mettaient vraiment trop de temps pour arriver : presque six mois de Quimper à Tallard. La comédie avait été fort bien jouée mais elle durait trop. Le dénouement ne pouvait plus tarder.
Dom Reymond de Vars était trop intelligent pour ne pas le sentir. Comme à Gaillon, Renac, Semur, Bagneux, Beauchesne. il fallait préparer le départ. Mais il ne savait pas lotit el les événements allaient le devancer.
Ni lui, ni le curé, ni le maire n'ont laissé de ces derniers jours une relation détaillée, du moins une relation qui nous soit parvenue. Il nous faut donc essayer de rétablir la suite des faits par recoupement des éléments trouvés dans Jean Faure, Roman, Faucher, la correspondance du Chartreux, les registres paroissiaux et les rares traditions orales de Tallard. Nous regrettons vivement de n'avoir pu, à la Préfecture de Gap, retrouver, dans la série M, le dossier de police concernant le Chartreux.
Au début d'octobre, M. le chanoine Peix, curé archiprêtre de la cathédrale de Gap, est convaincu que le saint homme de Tallard n'est qu'un escroc d'envergure. L'histoire des évêchés in patibus l'a éclairé d'une manière définitive.
Avant toutefois de démasquer l'homme, il prend la précaution d'écrire à Quimper. Il semble bien aussi qu'il ail écrit à Evreux.

Fin octobre, les renseignements reçus de Quimper sont aussitôt transmis à Monseigneur l'évêque de Digne.
Mgr Miollis n'en peut croire ses yeux. Aussi, avant de prendre les décisions qui s'imposent, écrit-il à son collègue d'Evreux. (En l'ail, c'est M. Peix qui est chargé d'écrire au nom de l'évêque).
Aucune trace d'ordination dans les archives d'Evreux. Mais avant de répondre, l'administration diocésaine se souvient qu'il y a dans une paroisse du diocèse un ancien Chartreux de Gaillon qui pourrait donner renseignements sur ce Don Reymond de Vars. On lui écrit donc.
Tout cela prend du temps et, par suite, les décisions de l'évêché de Digne tardent. M. le curé de Tallard demeure dans une tranquille ignorance de tout cet échange de correspondance. Le Chartreux aussi. El pourtant il devine quelque chose.
M. le chanoine Peix, à Gap, n'a pas gardé le secret absolu sur les renseignements venus de Quimper. Des personnalités gapençaises avaient aussi prêté de l'argent au Chartreux. Il les met donc discrètement en garde.
Des amis sûrs mis au courant discrètement rapportent discrètement à d'autres amis sûrs l'incroyable nouvelle. Finalement l'inévitable se produit : des lettres anonymes circulent dans Tallard. Le saint homme de Tallard, selon ces lettres, n'est pas un prêtre mais un moine défroqué, marié, père d'enfants abandonnés par lui, un escroc qui. partout où il passe, lève le pied avec l'argent des prêteurs.
L'un des créanciers, tallardien ou gapençais, met au courant le préfet, M. de Nugent. Des Tallardiens décident d'envoyer le jeune Grégoire de Cazeneuve au-devant de ces chariots qui n'arrivent jamais.
Suprême habileté, le Chartreux confie au messager une lettre pour le duc de Kerlorec et un bref billet ouvert pour le conducteur des voilures.
Le billet ne contenait que ces trois lignes :
« Le conducteur des voitures de M. de Reymond, envoyé par les ordres de M. le duc de Kerlorec, voudra bien faire partir en avant ses chevaux pour Tallard.
« De Reymond de Vars, Tallard « i) novembre 1817 ».

Quant à la lettre, qu'il avait sans doute pris soin de faire lire avant de la cacheter, elle commençait ainsi :
« Je succombe, mon cher neveu, sous le poids de la calomnie; on ne se contente pas de publier et d'écrire que votre voyage et ma succession sont autant de fables, on nie fait passer pour un homme qui lève le pied avec une somme considérable empruntée à divers particuliers de ces contrées...
« Quel aplomb ! On ne peut s'empêcher d'éprouver un sentiment d'admiration ».
Cazeneuve partit le 10 novembre au devant des chariots qu'il espérait rencontrer entre Grenoble et Lyon, peut-être même à Grenoble.
Le même jour, M. le Préfet envoyait au maire de Tallard une lettre assez sèche. « Je dois me plaindre de ce que vous n'ayez pas été le premier à m'informer de la conduite du sieur Reymond... ».
M. Faure, le notaire et maire, dut lire et relire cette lettre avec embarras. II était au courant des accusations portées contre le Chartreux. Il avait pris connaissance de la lettre confiée à Cazeneuve. Comment concilier toutes ces choses ?
Coupable, le Chartreux eut-il écrit cette lettre ? Eut-il supplié de faire diligence pour gagner Tallard au plus tôt ? Et, d'autre part, tous ces bruits que l'on assurait tenir de bonne source.
Pesant le pour et le contre, il prit le parti d'attendre le retour de Cazeneuve avant de répondre. Ce n'était en somme qu'une question de jours, trois ou quatre au plus.
Mais prudent aussi, songeant à cette accusation « un homme qui lève le pied après avoir emprunté des sommes considérables »; il fit surveiller discrètement le Chartreux. Sait-on jamais ?
La population tallardienne n'ignorait ;plus rien des bruits venus de Gap. En majorité, elle demeurait favorable au Chartreux. Malgré une secrète inquiétude, on espérait quand même. Nombreux étaient ceux qui montaient sur le Serre pour regarder vers les collines au delà de Montreduit.
Un soir même on crut reconnaître les chariots et le cavalier.
Le retard inexplicable de Cazeneuve était le sujet de toutes les conversations. Les uns 3' voyaient un motif d'espérer. « S'il tarde tant c'est qu'il a pris l'allure des chariots. Il est devenu limaçon comme les rouliers bretons ». D'autres étaient inquiets. « 11 lui est arrivé quelque chose », disaient-ils.
Eh oui, il lui était arrivé quelque chose.

M. le Maire n'avait encore rien dit à son curé de ses inquiétudes ni de la lettre préfectorale. Le vieux prêtre vaquait à son ministère el signait, en toute candeur, De Reymond, les actes
qu'il laissait au Chartreux le soin de rédiger. Ainsi, le 13 novembre, pour le mariage d'une descendante de la célèbre lignée des Ebrard avec un chevalier de la Légion d'Honneur.
Le Chartreux, lui, on peut bien penser qu'il eut volontiers levé le pied comme autrefois à Gnillon, à Semur, à Bagneux... S'il ne le fit. c'est que vraiment il ne le put.
Dix jours s'écoulèrent dans celle fièvre. Les nerfs des uns el les autres étaient tendus. Cazeneuve n'était toujours pas rentré.
Le 20 novembre, Monsieur le Maire n'y tint plus.
M. le curé venait de conduire au cimetière le corps d'Anne-Marie Bonnet, épouse Ubaud, décédée à l'âge de 56 ans. Il avait à la sacristie rédigé l'acte de sa propre main et signé De Reymond avec de belles fioritures.
M. le maire le rejoignit au presbytère et là, en sa présence* confessa le Chartreux, en obtint des aveux. Des aveux qui restaient entachés d'un mensonge concernant l'ordination.
Si nous ne savons pas qu'elles furent les premières réactions du trop crédule curé, on les peut imaginer sans peine.
Responsable de l'ordre public, Monsieur le Maire vil dans un éclair à quels excès pouvait se porter une population surexcitée quand elle apprendrait la chute de l'idole. Les partisans d'hier et même les obligés pouvaient être demain d'impitoyables ennemis.
Il fallait soustraire le Chartreux à des manifestations possibles.
Maire el curé d'accord organisèrent son départ. 11 eut lieu dans le secret, soit le soir même, très tard, soit le lendemain matin, très tôt.
Le refuge? Tout simplement les appartements du curé, de Tallard dans l'ancien couvent de Notre-Dame du Laus.
Près de Celle qu'on invoque,comme « Refuge des Pécheurs », le Chartreux put méditer, expier, demander des grâces de conversion, en attendant les décisions administratives qui seraient prises envers lui. La décision de l'administration épiscopale fut sévère : la permission de célébrer la sainte messe fut retirée au Chartreux el pendant les l(î années qu'il lui restait à vivre elle ne lui fut jamais rendue.
Deux jours plus lard, Grégoire de Cazeneuve regagnait Tallard, seul, plein de honte, de colère, de rancune.
A Lyon, la police, intriguée par ses allées el venues à la re- r| cherche de l'imaginaire duc de Kerlorec, l'avait pris lui-même -i pour un malfaiteur cl l'avait mis à l'ombre. Il eut dans son ï malheur celle chance d'avoir à Lyon des amis qui le firent relâcher. ;
On ne pouvait s'en prendre au Chartreux mystérieusement 1 disparu. On s'en prit à la belle plaque de marbre armoriée placée derrière le maître-autel. Elle fut brisée.
Pour les deux ou trois créanciers menaçants, M. le curé sut avoir le mot magique : « Vous serez remboursés par moi ».
Alors seulement, Cazeneuve rentré, le Chartreux en sûreté, les prêteurs apaisés, M. le maire fit sa réponse à M. le Préfet.
11 y a souvent manque de liaison entre les différents services administratifs d'une même préfecture.
Tandis que le Chartreux dans sa retraite du Laus se demandait quand il allait recevoir la visite des gendarmes, ce fut un poste de maître d'école à La Faune qu'on lui vint offrir. ")

 

La vente du Laus

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Les mendiants sont gyrovagues par nécessité. L'un d'eux en cette affaire fut, sans le savoir, un messager providentiel.
Au curé de Rabou qui lui faisait la charité, il dit ce qu'il avait appris à Tallard : le départ de l'homme de bien, le généreux ami des pauvres gens, les plaintes des créanciers, l'intention qu'on prêtait au chanoine de vendre le Laus.
Dans l'esprit de l'abbé Mondet il y eut comme une soudaine lumière : il vit le Laus rendu à sa destination première.
On déplorait dans le clergé haut alpin la malencontreuse idée qu'avait eue le chanoine Reymond d'affermer les bâtiments du couvent, lorsqu'il quilla sa résidence du Laus en 1803 pour devenir archiprêtre de Tallard. Le fermier n'avait rien trouvé de mieux que de transformer le couvent eu auberge où il recevait les pèlerins. Quand ils accompagnaient leurs paroissiens à Notre-Dame du Laus, les prêtres du diocèse souffraient de cet état de choses et le bon abbé Jouvent, gardien fidèle du sanctuaire, ne pouvait pas les recevoir.
Toujours à quelque chose malheur est bon. Les déboires du curé de Tallard, ruiné par le Chartreux, furent une occasion inespérée pour le diocèse sans évoque de rentrer en possession du couvent et de ses biens.
Des prêtres du diocèse n'hésitaient pas à dire et à écrire que le curé de Tallard avait trahi les intentions de son frère, le curé défunt de La Bâtie-Neuve, en ne remettant pas le couvent au diocèse aussitôt la paix religieuse rétablie par le Concordat, et que l'aventure du Chartreux était la juste punition imaginée par la Providence pour l'y contraindre.
A notre avis, il y avait des circonstances atténuantes, ne serait-ce que celle-ci : ce diocèse de Gap n'existait plus que dans les désirs de son clergé (Gap n'aura d'évêque qu'en 1823) et il était encore en 1818 administré de loin par Digne.
Dès le lendemain de sa rencontre avec le mendiant, l'abbé Mondet, sa messe dite de bonne heure, prit le chemin de Gap.

Trois heures de marche n'effrayaient pas ses cinquante-cinq ans. Et, le soir, il regagnerait, du même pas, son nid d'aigle.
M. le chanoine Peix, archiprêtre de la Cathédrale, avait pratiquement autant d'autorité qu'un vicaire général. M. le curé retint à sa table son confrère de Rabou, goûta fort le projet élaboré dans une nuit d'insomnie, le considéra même comme une inspiration du ciel.
L'abbé Monde! avait eu le mérite de trouver une solution heureuse au problème du Lan s. Il eut le mérite plus grand encore de se charger de recueillir auprès de ses confrères les souscriptions jugées nécessaires. Bénissant l'entreprise, Monseigneur de Miollis souscrivit des premiers. En peu de mois, sept mille francs or, somme considérable, avaient été souscrits par soixante-treize prêtres du diocèse. Quatre étrangers avaient aussi tenu à donner leur obole.
Le curé de la Cathédrale fut chargé de traiter avec le curé de Ta 1 lard. Il eut l'habileté de provoquer une réunion à Notre-Dame du Laus même et d'y venir, entouré de nombreux confrères.
A cette réunion le curé de Tallard se montra préoccupé, irrésolu, comme toutes les personnes d'âge qui, au moment de signer un contrat, une convention, trouvent toujours des si, des mais, et veulent des assurances comme si elles devaient vivre cent ans.
Les confrères lui remontèrent le moral, lui firent valoir qu'il deviendrait comme le bienfaiteur du diocèse, tout en fermant la bouche à ses détracteurs et aux créanciers du Chartreux. Ils lui garantirent la jouissance de s;:s appartements personnels au couvent, sa vie durant, el qu'après sa mort, chaque année à perpétuité, une grand'messe serait chantée pour le repos de son âme .

Finalement le chanoine Reymond se laissa convaincre. La convention acceptée au Laus fut enregistrée à Tallard le même jour sous seing privé (4 juin 1818). Elle ne fut ratifiée que le 7 juillet suivant car il avait fallu obtenir le consentement de l'ancien vicaire général de Coutances, retiré à Valognes (Manche).
Une demi-douzaine de créanciers Tallardiens et gapençais se partagèrent le prix de vente, 5.745 francs or. Il ne nous plait pas, pour diverses raisons, de donner ici ces noms. Légalement, le curé de Tallard était-il tenu de rembourser l'argent prêté, ou donné non sans arrière-pensée, à son cousin le Chartreux ?
 

 

Procès pour une facture

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Maître Daniel Faure, le maire de Tallard, avait, lui aussi, donné ou prêté de l'argent au bienfaiteur des pauvres gens de sa commune. Loin d'exiger comme les autres quoi que ce soit, il paya de ses deniers la facture du marbrier Bataglia.
La facture était manifestement exagérée: 1800 francs or.

Monsieur le Maire la paya intégralement mais en notaire méticuleux il eut soin de réclamer un reçu et de le mettre dans ses tiroirs.
Saluons en passant cet homme qui n'eut point de rancune envers le Chartreux et qui demeura pour son curé un ami fidèle. La mort allait malheureusement l'enlever dans la force de l'âge. Conséquence imprévisible de ce décès : le service rendu allait se transformer en source d'ennuis.
Maître Faure avait demandé au Préfet de le décharger de ses fonctions de maire et de lui désigner pour successeur Balthazard-Antoine Astier d'Artemale. Le préfet suivit ces vues et Maître Daniel Faure installa lui-même son successeur, le 26 décembre 1822.

Le pauvre ! Il n'allait pas jouir longtemps du repos qu'il souhaitait. Quatre mois plus tard, il était dans la tombe et son acte de décès, en date du 2 avril 1823, porte qu'il n'avait que 44 ans. Plusieurs prêtres assistèrent à ses obsèques, entre autres le vieux curé d'Urtis.
La veuve Amélie, en triant les papiers du défunt, trouva la facture de Bataglia et, conseillée par un homme de la chicane, voulut se la faire rembourser par la municipalité. Elle écrivit à la Préfecture dans ce sens. Elle écrivit aussi à l'évêché.
Mise au courant, la municipalité écrivit à son tour à M. le Préfet. Il lui était facile de se défendre.
Il y avait bien un projet de délibération comportant l'acceptation du don fait par Messieurs de Reymond el d»s remerciements. Mais ce n'était qu'un projet qui n'avait jamais été revêtu de la moindre signature et donc n'avait aucune valeur juridique.
Eut-il été signé, on n'aurait pu, pour autant, y voir aucun engagement, attendu qu'un remerciement d'un don que l'on l'ait, quelques honnêtes qu'en soient les termes, ne peut jamais être considéré comme une obligation de le payer.
Croire que tout allait en rester là, ce serait mal connaître les gens de la chicane et les robins. Pendant trois ans les services de la Préfecture furent empoisonnés par des réclamations et des menaces de procès.
Sur ces entrefaites, le nouveau maire, lui aussi, était entré dans un monde meilleur. En 1823, il avait manifesté sa sympathie au malheureux curé que Digne venait aussi d'honorer d'un camail, en lui offrant un ciboire d'argent portant l'inscription : Don de B.-A. Astier d'Arlamale. maire de Tallard, 1823.
Le nouveau maire, Pierre-François Faure-Lacombe, voulut tout de suite liquider celle affaire. Le préfet, l'évêque et lui, furent d'avis qu'il fallait en sortir à l'amiable. Il persuada ses conseillers et, pour avoir la paix, une somme de 400 francs fut en 1825 versée à Mme veuve Amélie Faure. Ainsi se termina une affaire qui n'aurait jamais dû être entamée.
 

 

La punition exagérée : La Tallardiade

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Si le vieux chanoine Reymond avait quelque peu aimé l'argent comme le prétendaient certaine de ses confrères (ah! les confrères), sans d'ailleurs en apportant la preuve lui-même il s'était bien puni lui même en se ruinant pour payer non pas pour ses dettes mais les dettes d'un antre Se dépouiller est toujours très dur pour un vieillard
Las, ce n'était rien auprès du châtiment d'un autre genre mais qui allait l'atteindre et le poursuivre jusqu'à sa mort.
Jusqu'à la mort et au-delà. Car personne à jour n'avait fait son portrait. Mais la caricature. Tout le monde la connaissait.
Tallard n'avait aucun intérêt à ébruiter l'affaire. C'était déjà bien assez. que certains
gapençais fussent trop bien renseignés.
Remboursés, la demi-douzaine de riches et vaniteux créanciers avaient bouche cousue.
Ils ont aurait donc pu assez rapidement s'estomper dans la brume des lointains, n'être connu encore assez mal que des fouilleurs d'archives.
Mais il y eut Faure du Serre.
En 1817, le poste de secrétaire général qu'il occupait à la Préfecture de Gap fut supprime, cette suppression, disons-le, était une manière oblique écarté l'homme. Jean Faure ne s'y trompa pas. Il ressentit vivement l'injustice et l'affront et se plaignit ouvertement et par écrit du machiavélisme odieux qui l'avait choisi pour victime expiatoire.
Pour ne pas mourir de faim. lui, sa femme et ses cinq enfants. il dut devenir, à Gap, simple clerc d'avoué avec 900 fr. d'appointement par an
Pour ajouter un peu a ces trop maigres ressources, il eut recours à sa plume et vit dans la mésaventure des Tallardiens une source de profils a ne pas négliger.
Entre Gap et Tallard existait un vieil esprit de contrariété qui avait contribué a fixer particulièrement les regards des Gapençais sur la mésaventure de leurs voisins. Ces lignes sont de Jean Faure en personne.
L'aventure de Tallard prit fin le 21 novembre 1817. Avant même que s'achevait cette année 1817. Jean Faure avait commencé la Tallardiade. les- notes de la première édition le reconnaissent.
Pour compléter les renseignements donnes par le chanoine Peix, il écrivit à Quimper et à Evreux et c'est ainsi qu'il eut vent des épisodes de gray et de Bauchesne qui demeurent aujourd'hui des problèmes non résolus.
Les loisirs que lui laisse son travail de clerc se passent, au cours l'année 1818, dans la composition de ce poème héroï-comique qui parait en 1819 chez Jean-Baptiste à Gap.

Le succès d'actualité dépassa ses espérances.
Mais pour le chanoine Louis-Thomas Reymond, curé de Tallard. ce fut un coup d'assommoir Déjà victime du Chartreux, il était plus encore la victime de Faure du Serre.
le poète le montrait en effet s'empressant d'aller partout faire connaître la lettre de Quimper ou encore quand il se croyait épiscopable. essayant une nuire de carton. faisant des gestes de bénédiction devant son miroir ou s'exercent à donner le sacrement de confirmation à un mannequin. C'était odieux.
La Tallardiade, c'est certain, ruina l'autorité du vieux curé et paralysa son ministère. les personnes d'âge pouvaient se montrer compréhensives mais la jeunesse, chacun le sait, est sans pitié.
Or. il ne faut pas l'oublier, l'administration diocésaine laissa le chanoine au même poste jusqu'à sa mort.
Le supplice dura ainsi seize années.
Quand le vieux prêtre mourut, il y avait une centaine de jeunes gens et de jeunes filles qui jamais ne s'étaient approchés des sacrements de pénitences et d'eucharistie. Si grande que soit aujourd'hui l'indifférence religieuse, on n'en pourrait trouver un le nombre.
En 1830, il y avait eu aussi un vol sacrilège. Le principal reliquaire, un coffret contenant les ossements du saint patron de Tallard Saint Grégoire, fut volé. Ossements et coffret ont à jamais disparu. Quant à l'authentique, ce papier dont les voleurs ne virent pas l'intérêt, il demeure aujourd'hui encore comme un témoin. Il serait souhaitable qu'il fut restitué
 

 

La mort du curé de Tallard

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C'est la mort qui va mettre le point final à celle histoire en venant prendre les deux cousins, la même année, à quelques semaines d'intervalle, à quelques kilomètres l'un de l'autre.
Le curé archiprêtre de Tallard mourut dans l'indifférence générale, le 25 mai 1833.
Nous venons d'assister, en Bretagne, .aux obsèques du recteur de ST Grégoire. Nous avons vu toute la population rendre hommage à son pasteur, la municipalité prendre à sa charge tous les frais el choisir l'emplacement du tombeau, au pied du grand calvaire. Nous avons vu plus de deux cents prêtres signer le. registre paroissial.
A Tallard, c'est seulement le soir que deux paroissiens, Jean Antoine Mourès (Voir ICI la vie de son fils Joseph Antoine Clément Mourès) et Jean-Francois Mamlaroux. vinrent déclarer devant le maire. Jean-Laurent Ferrier. que Louis-Thomas Reymond âgé de 87 ans, était décédé à 11) heures du malin au presbytère, rue de la Place. On leur demanda les noms (le ses père et mère : ils répondirent qu'ils n'en savaient rien.
L'acte du registre paroissial est encore plus bref. Le vicaire qui le rédigea avait même oublié de noter : muni des sacrements. Une seule signature : celle du vicaire.
Les obsèques de l'archiprêtre furent présidées par le curé de Gap, en présence des curés de La Saulce, Neffes, Jarjayes et Châteauvieux.
Dernière injure : la tombe au cimetière n'a pas été entretenue et a disparu,

 

Dernières années et décès du Chartreux

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Deux mois plus tard, le Chartreux rejoignait dans l'autre monde son cousin à la mode de Bretagne et sa victime. Ils ne s'étaient pas revus depuis cette retraite un peu forcée accomplie à Notre-Dame du Laus, fin 1817.
M. le Préfet des Hautes-Alpes, qui avait tout d'abord songé à faire arrêter le Chartreux, s'était finalement contenté d'écrire en février 1818 au maire de Serres d'avoir l'oeil sur le personnage. En effet, c'est à Serres que Dom Raymond était venu dans la première quinzaine de janvier, ne sachant pas encore très bien s'il allait de nouveau donner des leçons, faire la classe ou s'enfermer dans la Chartreuse de Durbon.
Des notables de La Faurie, entre Serres et Durbon, tranchèrent la question pour lui et vinrent le chercher pour qu'il donnât «les leçons à leur progéniture.
Il devait rester là quelques années, selon M. Faure du Serre, deux ans, précise M. Roman, mais toujours sous la surveillance au moins morale sinon effective du maire de Serres.
Pour avoir des renseignements plus précis sur cette période nous avons écrit à La Faurie. Les instituteurs en ce temps-là devaient être agréés par délibération municipale, prêter serment devant Monsieur le Maire au début de l'année scolaire. C'était aussi la municipalité qui fixait le traitement du maître d'école.
De La Faurie nous est malheureusement venue cette réponse : le registre des délibérations municipales de cette époque a disparu. Nous nous sommes aussi adressé aux Services de l'Académie à Gap et nous avons été prié de passer à la Préfecture, où M. Arthaud, avec son sourire amical et sceptique, nous a répondu : Inutile de nous fatiguer; les vieux dossiers sont détruits.
C'est de La Faurie que Dom Reymond écrit, le 18 octobre 1818, à Faure du Serre pour lui demander d'épargner, dans La Tallardiade en préparation, le malheureux curé de Tallard dont tout le crime fut sa crédulité: « Je n'ignore pas avec quelle adresse vous maniez les armes trop attrayantes mais aussi trop meurtrières du ridicule mais au moins qu'elles n'atteignent que celui qui s'en est couvert et que l'innocent en soit exempt... ».

Celle lettre, Jean Faure la classa dans ses papiers mais il n'en tint aucun compte.
Finalement c'est à Serres même que le Chartreux reviendra s'établir et il y restera jusqu'à sa mort, donnant des leçons et composant des vers.
Aucune aventure ne marque cette fois ce long el dernier séjour. Jean Faure lui-même le reconnaît.
Dieu sait pourtant s'il était aux aguets, préparant une nouvelle édition de son poème qu'il venait d'augmenter de deux chants.
C'est donc à Faure en personne que nous demanderons la description des dernières années du Chartreux.
« On doit lui rendre cette justice que, dans sa nouvelle résidence, sa conduite fut à peu près correcte. Il récitait chaque jour son bréviaire, fréquentait l'église et les sacrements el remplissait exactement les devoirs de son état. Les qualités heureuses dont il était doué lui avaient gagné l'estime el l'affection de la population tout entière el les meilleures familles du pays lui avaient confié leurs enfants. Par la régularité de sa vie, son zèle, les soins dévoués et intelligents qu'il prodiguait à ses élèves, il s'efforçait de racheter un passé qu'il aurait voulu faire oublier, moins pour lui, disait-il, qui méritait son sort que pour les personnes respectables dont il avait surpris la bonne foi et trompé la confiance... ».
A ce portail surtout moral, ajoutons le portrait physique tracé par M. Roman : « Auguste de Reymond était de petite taille, fort bien fait de sa personne, l'oeil très vif sous des sourcils noirs bien dessinés, la physionomie intelligente et souriante. Tous ceux qui l'ont approché se sont plu à louer sa politesse... ».
Aussi Jean Faure cède-t-il cette fois à la prière du Chartreux (21) et remet-il à plus lard la parution de son poème remanié. Il devait aussi regretter d'avoir eu la dent si dure pour le curé de Tallard.
Une chose pourtant nous étonne. Si les Serrois avaient tant d'estime pour le vieux régent d'école pourquoi donc l'ont-ils laissé passer ses dernières années dans la gêne pour ne pas dire dans la vraie misère ?
On l'oublia à tel point qu'il dut se résigner en 1832 à demander un secours de 200 fr. qu'il obtint, son indigence étant reconnue réelle.
En 1833, il fit une nouvelle demande adressée directement à Paris au Ministère des Cultes.
En date du 30 janvier, le ministre fait parvenir au préfet de Gap une note portant la mention : « Confidentielle » et lui demandant avant de prendre décision, des renseignements sur la conduite politique el les moyens réels d'existence du pétitionnaire.

Les services de Monsieur le Préfet répondirent qu'ils ne pouvaient transmettre que fies renseignements peu favorables sur la moralité de M. Reymond et que seule la position très malheureux du pétitionnaire pouvait le recommander à la bienveillance du Gouvernement .
Accompagnée d'une telle noie, la pétition du pauvre de Vars a dû s'en aller au panier.
L'ancien prêtre (ainsi s'était-il qualifié lui-même dans sa demande de secours) s'éteignit, âgé de 77 ans, le 21 juillet 1833.
Son acte de décès est quelque peu fautif. On doit du moins constater que les témoins sont mieux renseignés que ceux de Tallard.
Les témoins, un instituteur et un gendarme, savent son âge, son lieu de naissance, tous ses prénoms et à peu près ceux de ses père et mère. Ils ont soin de déclarer que le défunt était prêtre Chartreux.
Ainsi donc Auguste Alexandre de Reymond de Vars, devenu Dom Calixte, devenu Auguste Devars, redevenu Dom Reymond de Vars, aura joué tous les rôles : étudiant indiscipliné, moine, défroqué, prêtre constitutionnel, gendarme, postier, marié, médecin, commissaire du Directoire, précepteur, châtelain, maître d'école, mystificateur de géni? à Tallard et finalement diable .converti. Reste à savoir comment St Pierre aura jugé le comédien.
Aux portes du Seigneur, il faut, pour l'ordinaire, faire longtemps antichambre. Les deux cousins eurent tout loisir de renouer connaissance et de se pardonner. Aujourd'hui « tous deux en habit vert, portant même ceinture », comme autrefois dans les rues A° Tallard, doivent promener du même pas dans les allées du Paradis.

RICHARD DUCHAMBLO.
Breton et curé de Tallard,
17 février 1963.
 
 

Remerciements à La .Société d'études des Hautes Alpes.

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