Durance
Poème
de Gilbert Ledieu
Quant Durance en colère hurlait
à flots puissants
Recueillis aux lits creux des torrents ruisselants,
Les riverains alpins, comme ceux de Provence,
La regardaient passer, dans toute sa démence
Craintifs et résignés devant sa surpuissance
Levant les yeux au ciel afin que sa nuisance
N'aille pas de nouveau, en froide déraison,
Emporter méchamment leurs digues et leurs ponts.
Qui pouvait arrêter l'audacieuse indomptée ?
Près des champs inondés, craintifs et
dépités,
Du colosse effrayant ils constataient l'outrance.
Ses eaux tumultueuses roulaient avec aisance
Des gros blocs de granit dans un fracas d'enfer.
N'en croyant pas leurs yeux, mais que pouvaient-ils faire,
Ils voyaient les dégâts des ondes turbulentes.
Creusé comme sans efforts par la poussée
violente,
Son lit s'élargissait en multiples chemins.
Ils savaient que ce mal serait un bien demain
Puisqu'il leur apportait au fil des millénaires
Le gras limon fertile qui amendait leurs terres.
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Tour à tour
détestée, aimée,
blâmée, louée,
Capricieuse, impavide elle se savait vouée
A l'incessant voyage et voyait défiler
Poètes, bâtisseurs ou soldats qui pillaient.
Trait d'union historique entre Pô et Provence
De tous temps elle fut passage d'importance.
Puis, las de supporter de Durance les frasques
Les vaillants Tallardiens mirent à bas les masques
Des craintes et frustrations et passèrent à
l'ouvrage.
D'abord ils élevèrent des digues au but for sage
De contenir les flots destructeurs de leurs champs ;
Aux jardins des conquêtes, indemnes des flots
méchants,
Ils cultivèrent alors légumes à foison,
Se sachant protégés ainsi que leurs maisons.
Puis, le long de son cours, vinrent des ingénieurs
Bâtisseurs de barrages, de canaux arroseurs.
Endiguée, muselée, elle s'est assagie ;
Elle irrigue, c'est vrai, mais elle se languit,
Rêvant souvent au temps où, libre, elle courait
Entre les galets lisses où ses eaux murmuraient
Loin des turbines d'acier et des conduites forcées
Qu'elle doit faire tourner en rythmes effrénés !
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